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La planification familiale : une pratique déterminante pour l’atteinte du dividende démographique

Contexte

Le concept de la planification familiale continue de susciter des débats quant à son  intérêt social mais aussi sa définition.  La planification familiale peut être définie comme un ensemble des moyens permettant  (i) d’éviter les grossesses non-désirées ;  (ii) de choisir  le nombre d’enfants désirés ainsi que les moments de leurs naissances ; (ii) d’espacer les naissances en respectant  l’intervalle de temps  convenable pour la santé de la mère et de l’enfant ; (iv) de programmer les naissances au meilleur moment quant à l’âge de la mère.

Le 13 mai 1968, la Conférence internationale sur les droits humains a adopté la résolution suivante dans le cadre de la Proclamation de Téhéran : « Les parents ont le droit fondamental de déterminer librement et consciemment, la  taille de leur famille et l'échelonnement des naissances. »  Le délégué chargé de la coordination des négociations de Téhéran relatives à la résolution a déclaré  que celle-ci « disait oui à la planification familiale effectuée par la famille et non à celle effectuée pour la famille ». La planification familiale devenait alors clairement pour la première  fois, un droit laissé à la libre appréciation des couples et non un « contrôle de la population » imposé par l'État. Depuis la Proclamation de Téhéran de 1968, de nombreux traités, conventions et accords portant sur la santé reproductive et les droits qui y sont associés, ont réaffirmé ces droits humains.

Le présent article montre en quoi la planification familiale est un droit humain essentiel et comment elle est reconnue comme un indicateur important du niveau d’atteinte du dividende démographique[1] et du développement humain durable. Par la suite, une analyse est faite sur le lien entre planification familiale, l’éducation et la capture du dividende démographique avec un focus sur la situation  particulière de la Côte d’Ivoire.

L’UNFPA et la Planification familiale, en tant que droit humain pour la  capture du dividende démographique

L'approche fondée sur  le droit  à la planification familiale considère les personnes concernées comme des êtres humains à part entière exerçant leurs droits en qualité d'acteurs et non de bénéficiaires passifs. L’UNFPA rappelle que, bien que l’information et l’éducation sexuelle constituent un droit humain, le manque de planification familiale continue de toucher environ 214 millions de femmes dans le monde entier. La planification familiale est  centrale dans l’atteinte de l’égalité entre les sexes et constitue également un facteur clé dans le développement et la réduction de la pauvreté.

La planification familiale est particulièrement importante dans les pays en développement, où certaines mesures conservatrices s’opposent à l’information des jeunes sur les « risques de la reproduction » tels que les avortements risqués, les maladies sexuellement transmissibles et d’autres dangers. Les pays dont la population active  augmente en même temps que le taux de fécondité diminue sont fortement susceptibles de récolter les fruits du « dividende démographique ».  Ainsi, l’Asie du centre, de l’Est et du Pacifique du Sud et l’Afrique du Nord qui ont un niveau de développement de pays dit émergent ont un taux de fertilité compris entre 18-38,7 contre 103 pour l’Afrique-subsaharienne. Il s’agit précisément du nombre d’adolescentes qui ont une vie féconde sur une population de 1 000 adolescentes.

La figure 1 ci-dessous illustre très bien le lien entre la forte fertilité résultant de l’absence de programme de planification familiale notamment chez les jeunes et le niveau de développement dans le monde.

 

Figure 1 : Taux de fertilité chez les adolescents dans le monde

[2]

Au regard de la corrélation pertinente entre planification familiale, éducation, droit humain et développement, l’Union africaine a retenu en 2017, le thème « Exploitation du dividende démographique à travers des investissements sur la jeunesse ». La Côte d’Ivoire s’inscrit dans cette vision d’investissement accru pour la mise en œuvre des programmes de planification familiale dans sa marche vers  l’émergence.

 

Situation de la planification familiale en Côte d'ivoire

En Côte d’ivoire, l’utilisation  de la  Planification Familiale chez les femmes en union demeure  faible car la prévalence contraceptive moderne  est de 14, 3%[3]. L’une des conséquences de cette faible prévalence contraceptive se traduit par un indice synthétique de fécondité (ISF) encore élevé de 4,6 enfants par femme et un ratio de mortalité maternelle élevé de 614 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes selon l’EDS 2012.

L’accès et l’utilisation des services de Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) présente de nombreuses disparités entre les régions du pays, le milieu de résidence, les tranches d’âge, les cultures, les niveaux d’instruction. L’influence des hommes n’est pas négligeable dans l’accès et l’utilisation des services (informations et prestations) de Santé Sexuelle et Reproductive par les femmes mais surtout les adolescentes et jeunes filles.

Lors du Partenariat de Ouagadougou, la Côte d’Ivoire s’est engagée  à atteindre 514 000 utilisatrices additionnelles d’ici 2020. Cet objectif selon le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique a été largement atteint en 2016 avec 184 000 utilisatrices additionnelles. Ainsi, la prévalence contraceptive moderne et traditionnelle combinée a enregistré un gain de 3 points par rapport à 2015 et se situe à 20% en 2016[4].

Cependant, même si les tendances actuelles d’accroissement du taux de prévalence contraceptive se maintiennent (2,9% /an), le pays sera à 24% de prévalence contraceptive en 2020, contre 36% attendue pour toutes les méthodes. Par conséquent, pour réaliser cet objectif de 36% en 2020, il faudra au moins doubler les efforts pour atteindre un accroissement annuel de 5% de taux de prévalence contraceptive. Dans cette perspective, les projections démographiques constituent un important outil pour les prises de décisions.

Projections démographiques et option d’une utilisation accrue des contraceptifs en Côte d’Ivoire[5]

Pour la capture du dividende démographique, trois scenarios de l’évolution possible de la population ont été analysés.

Le premier scenario dit tendanciel  fait l’hypothèse de la poursuite d’une augmentation lente de l’utilisation de la contraception de 20% en 2016 à 28,5% en 2030, 45% en 2050 et 55% 2065. Ce scénario conduit à 4,2 enfants par femme en 2030, 3,5 enfants en 2050 et  enfants 2,8 enfants en 2065. Le deuxième, scénario dit médian fait l’hypothèse d’une certaine accélération de l’utilisation de la contraception de 20% en 2016 à 37,5% en 2030, 60% en 2050 et 65% en 2065. Il conduit à 3,7 enfants par femme en 2030, 2,5 enfants en 2050 et 2,2 enfants en 2065.  Enfin, le troisième scénario dit « émergence »  fait l’hypothèse d’une progression très rapide de l’utilisation de la contraception  comme dans les pays émergents et conduit en 2030 à une prévalence de la contraception de 50% (et 3 enfants par femme), de 70% en 2050 (et 1,90 enfants par femme), et 72% en 2065 (et 1,8 enfants par femme). C’est une croissance observée comme dans de nombreux pays qu’on peut considérer comme émergents ou en émergence (dont le Cap-Vert, le Maroc, le Bangladesh).

Le scénario « émergence » trace la voie d’une telle évolution pour la Côte d’Ivoire, avec le passage d’un taux de croissance démographique de 2,5 % en 2017, à 1,3% en 2035, 0,8% en 2050. C’est ce scénario qui trace aussi la voie pour la capture pleine et entière  du dividende démographique. Il est important de souligner que quelque soient les scenarios retenus, le volume actuel de la population ivoirienne ne diminue pas. Les populations totales projetées en 2050 vont de 40,1 millions pour le scénario « émergence » à 52,8 millions pour le scénario tendanciel.

 

Cependant, l’importance de la réduction (toutes choses égales par ailleurs) des dépenses à effectuer entre 2015 et 2050, notamment en santé et en éduction ou « gain fiscal » obtenu avec le scénario « émergence » grâce à la maîtrise  des effectifs d’enfants et de  jeunes est présentée en comparant les pyramides des âges estimées en 2050 pour les scénarios « émergence » et tendanciel (Figure 2).

 

Figure 2. Pyramides des âges en 2050 selon les scénarios « émergence » et tendanciel

Gain: :moins 

à dépenser  

 

Il faut souligner que le ratio « coût-bénéfice », signifie clairement qu’un investissement supplémentaire en planification familiale facilite en même temps l’amélioration du capital humain que constituent les enfants d’aujourd’hui qui sont les jeunes et les adultes de demain. En effet, comme l’indique la figure 2, avec le scenario émergent, le gain obtenu signifie qu’il y’a moins de dépense à faire par l’Etat en santé et en éducation pour les 0-14 ans et les économies réalisées permettront d’investir dans la formation et l’emploi notamment pour les 15-24 ans afin d’augmenter ainsi le nombre de potentiels actifs de 15-64 en réduisant le nombre de dépendants. Ce gain est d’autant plus remarquable qu’il nécessite un investissement modeste par rapport aux dépenses à engager pour que le scénario « émergence » se réalise.

 

Les objectifs attendus de l’utilisation des méthodes modernes de contraception correspondant au départ à environ 600 000 utilisatrices en 2017 à 780 000 en 2020 (soit des augmentations de près de 10% par an).  En supposant un coût moyen par utilisatrice/utilisateur de 5 dollars, cela correspond en 2018 à 1,850 milliards de FCFA, 2,030 milliards en 2019, et 2,230 milliard en 2020. Ces sommes, certes non négligeables, représentent toutefois moins de 1% du total des dépenses de santé (public plus privé) par habitant en Côte d’Ivoire. La réduction assez rapide du taux de croissance démographique avec le scénario « émergence » devrait également permettre une accélération de la croissance du PIB par tête, et par  là même, favoriser l’augmentation de la classe moyenne ainsi que l’épargne intérieure et les investissements nationaux indispensables pour un développement durable.

 

Pour capturer le dividende démographique synonyme de développement durable, la Côte d’Ivoire à l’instar des gouvernements en Afrique du Nord (Maroc) en Afrique du Sud ou en Asie du Sud, devra assuré un rôle et un leadership de premier plan au niveau des investissements financiers, de communication public massive et précise sur la planification familiale, la promotion de la scolarisation pour tous notamment au primaire et pour la filles.  Pour la Côte d’Ivoire, il est souhaité par les spécialistes d’une approche de priorisation simultanée de la planification familiale et de l’éducation arrimée à une maximisation de la compétitivité économique pour la capture pleine et entière du dividende démographique.

 

 

 

 

 

 

[1] Le Dividende démographique, est une fenêtre d’opportunités ouverte à un pays pour accélérer sa croissance économique grâce à la baisse continue du taux de dépendance résultant de la baisse de la fécondité. Ce changement dans la structure par âge de la population se traduit au niveau économique par une augmentation du nombre de personnes en âge de travailler (15 à 64 ans) par rapport au nombre d’enfants de moins de 15 ans.

 

[2] WCA : Afrique de l’Ouest et du Centre

[3] Les statistiques sur l’ISF et la prévalence contraceptive moderne sont du MICS 2016

[4] Rapport de suivi du PND, 2016

[5] Rapport des projections démographiques d’outil d’aide à la décision (ONP/UNFPA, Novembre 2017)